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 Les lithographies d’Antoine Roussin ou… la naissance d’une passion

Alain-Marcel VAUTHIER est ancien Conservateur en chef et Directeur de la Bibliothèque Départementale, Vice-président du Cercle Généalogique de Bourbon et Président de l'Académie de l'île de La Réunion,
Il est Officier des Palmes Académiques.
    Ce texte est extrait d’une conférence présentée par Alain-Marcel VAUTHIER au Musée Léon Dierx, le 17 mars 2009, dans le cadre de l'exposition « Louis Antoine Roussin ».
    Une grande partie des splendides lithographies évoquées ici ont pu être admirées lors de cette exposition. « Dépêchez vous de les regarder ! » recommandait Alain-Marcel VAUTHIER «  Cela ne durera pas... Elles retrouveront bientôt l'ombre protectrice des réserves du musée ! »…C’est bien là qu’elles se trouvent à présent, attendant la prochaine exposition…

                   Nous sommes fin 1846. Louis Antoine ROUSSIN, né en Avignon le 3 mars 1819, est installé à

La Réunion depuis 1842. Arrivé en tant que  militaire au 3ème régiment d'infanterie de marine basé à

Saint-Denis, il a ouvert depuis un an un atelier de peintre qui marche bien. Tous ceux qui dans l'île ont

quelque notoriété veulent avoir leur portrait exécuté par ce jeune artiste qui s'est rendu vite célèbre

" pour la facilité avec laquelle il saisit la ressemblance "comme l'écrit Yves DROUHET. Il vient d'épouser

une jeune créole de Saint-Benoît mais n'est pas encore nommé professeur de dessin au Lycée de

Saint-Denis. Il a tout pour être heureux et mener une petite vie bien tranquille, mais il a un grand projet

...essayer ce procédé de reproduction à plat de dessins  basé sur la répulsion de l'eau et des encres

grasses inventé par le Munichois Aloys SENEFELDER en 1799  et utilisé déjà en France par de

grands artistes.

Et le voilà qui devient tour à tour mécanicien, chimiste, imprimeur, dessinateur… il reconstruit en entier

la vieille presse lithographique retrouvée dans un coin du magasin général de la Marine, à St Denis, et

son rêve se réalise : cet instrument lui permettra de développer son atelier et de sortir, associé à un

certain DUREAU, artiste déjà connu à l'île Maurice, une première série d'illustrations : paysages de l'île,

événements de la vie locale, fleurs et fruits tropicaux. Ce seront les" Souvenirs de l'Ile Bourbon".

Cette série connaît un succès immédiat puisque cent lithographies sont éditées jusque en février 1849

et ce sont ces" Souvenirs..." devenus en 1848 (révolution oblige) "Souvenirs de l'Ile de La Réunion"que ROUSSIN voudra améliorer et animer en lançant « l’Album de la Réunion ». L'Album est présenté comme une suite aux "Souvenirs de l'Ile de la Réunion". Il est précisé que les lithographies seront désormais accompagnées d'un texte explicatif, aucune  limite n'est fixée à l'ouvrage, tous les domaines seront explorés.

Il est à souligner que Roussin, ce faisant, ne fait que suivre alors une tendance générale venant de métropole : la lithographie est un genre à la mode.  Les ateliers comme celui de Charles Philibert de Lasteyrie où Jean Joseph Patu de Rosemont fit imprimer les toutes premières lithographies sur La Réunion,  celui de Langlumé, qui fut son premier commis, l'imprimerie Lemercier ont un succès certain. Le procédé lithographique permet à l'époque, mieux que la balbutiante photographie, de saisir les nuances d'une illustration. Cela dit, le travail de Roussin, imprimé localement, est varié et abondant ! Son œuvre est un témoignage unique et extraordinaire de la vie quotidienne à  La Réunion au XIXème siècle, ses lithographies représentant de multiples lieux et de multiples activités .    
Pour éditer son "Album", ROUSSIN ouvre une imprimerie rue de l'Église à Saint-Denis. Le premier volume sort en 1856 et le cinquième et dernier en 1876. Les éloges les plus flatteurs ne manquèrent pas qui saluèrent, tant à la Réunion qu'en France, les magnifiques qualités de l'album. Mais les éloges seuls ne suffisent pas, encore faut-il que l'œuvre se vende...

Malheureusement les abonnements se font rares,l'album est, en effet,publié par fascicules paraissant périodiquement,            livrés sur abonnement et comprenant des textes et des gravures; une table des matières permet ensuite le classement des dessins par rapport aux textes. La formule est-elle mauvaise?  les acheteurs se lassent-ils d'une publication dont rien ne laisse prévoir l'achèvement ?  même le Conseil Général, qui pourtant avait été sommé par le Ministre de la Marine et des Colonies de continuer son abonnement, finit par le suspendre et il n'y a plus que sept souscripteurs lorsque ROUSSIN décide de clore avec le cinquième volume son "Album de la Réunion ». Et c'est peut être pour cette raison, que ce cinquième volume en édition originale est d'une insigne rareté!...

Dix ans plus tard, ROUSSIN commence une deuxième édition de son ouvrage, mais il n'est plus alors son propre imprimeur; les livraisons de cette seconde édition s'échelonnent de 1879 à 1886. Quelques biographies nouvelles dont celle de LECONTE de LISLE et celle de Juliette DODU seront ajoutées. D'autres textes par contre sont expurgés de certains articles considérés comme superflus ou obsolètes. Quatre volumes seulement paraîtront, car, au bout du compte, la situation n'est pas meilleure qu'à la fin de la première édition, à tel point que ROUSSIN n'aura même pas besoin de changer le texte de ses "regrets" quand il annonce à ses souscripteurs la fin de sa publication. Le nombre de lithographies illustrant les articles, a  considérablement chuté : de 391 dans la première édition, il passe à 246 dans la deuxième...Quelques photos, qui ont très mal vieillies, apparaissent...

Cette seconde édition a souffert aussi d'avoir été publiée sur le médiocre papier de la fin du  …
19ème siècle. La conservation en est généralement très mauvaise sous nos climats, et si les exemplaires parvenus jusqu'à nous sont plus nombreux que ceux de la première édition, ils sont, pour la plupart, en beaucoup plus mauvais état. De plus, l'engouement qu'ont toujours suscité les lithographies de Roussin a failli provoquer la disparition des albums reliés. Chaque exemplaire émergeant d'une bibliothèque familiale et mis sur le marché des livres d'occasion étant aussitôt dépecé par les marchands afin de vendre les lithographies une à une. Pour des raisons évidentes de conservation et de protection, les albums des collections publiques ne sont pas consultables et le vandalisme commis  sur les rares volumes possédés par les particuliers faisait que l'une des pages les plus riches de notre histoire littéraire, artistique et scientifique courait le  risque d'être fermée au grand public Aussi l'idée d'une réédition s'imposait-elle, d'autant plus que les techniques actuelles de reproduction permettaient  de respecter presque entièrement les qualités de l'origine.
 

En 1974, Jeanne LAFFITTE,   éditeur réputé de "Reprints," établi à Paris et à Marseille, entre en contact avec Yves DROUHET, au cours d'un séjour à La Réunion et ils s'entendent pour reproduire la première édition de l'Album détenu dans nos collections. En effet, la Bibliothèque Départementale avait eu la chance il y a plusieurs années, alors que la cote des ROUSSIN était encore acceptable, de trouver dans un état de fraîcheur remarquable quatre volumes exceptionnels.

Il s'agissait de ceux que le frère Hermélien, visiteur provincial des Écoles chrétiennes et actif et fervent défenseur des arts pendant son séjour à la Réunion, avait souscrit à ROUSSIN pour un de ses amis en France : l'abbé Léon MARET (le tome 1 contient d'ailleurs une très belle dédicace qui donne encore plus de valeur à l'ouvrage et que vous pouvez découvrir, le temps de l'exposition, dans la salle centrale du musée).
Le Frère Hermélien est un des sept souscripteurs dont ROUSSIN cite les noms en conclusion de son cinquième volume. Les livres, reliés à St Paul, avaient été expédiés en France d'où ils sont revenus à la Réunion, ayant échappé aux dégâts que l'humidité et les termites causent si souvent aux livres sous les tropiques. Ces volumes, qui sont sans doute parmi les plus beaux ROUSSIN actuellement conservés, ont servi de base à l'édition parue en 1975. Cependant la collection du frère Hermélien n'est pas complète, il manque ce fameux cinquième volume dont Monsieur DROUHET disait à l'époque qu'il n'avait pu en recenser que deux exemplaires à La Réunion. Il avait donc fallu  l'emprunter à un collectionneur particulier, Monsieur André PELTE, qui avait bien voulu nous le prêter à condition qu'il soit très bien assuré...
    Et c'est à partir de la préparation de cette réédition que datent mes connaissances et ma passion pour les lithographies de ROUSSIN…

                                                                                                                                                                            Alain-Marcel VAUTHIER

 

     ( Texte publié en Mai 2016 )
                  

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